CBA Rémi SCARPA _ Prix Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque 2014

PRIX FONDATION MARÉCHAL LECLERC DE HAUTECLOCQUE 2014

Chef de bataillon Rémi SCARPA

«UN SEUL BUT LA VICTOIRE… DES FONDAMENTAUX »

 

 

 

• L’AUTEUR :
Saint-Cyrien de la promotion «Général BÉTHOUART» (00-03), le chef de bataillon Rémi SCARPA est fantassin. Il a commandé une compagnie VBCI au 92e RI, avec laquelle il fût engagé en Afghanistan. Assistant militaire du général BARRERA, il a participé au 1er mandat de l’opération SERVAL.

. L’ARTICLE :
Destiné à mettre en avant les raison du succès tactique de l’offensive conduite par la brigade SERVAL (mandat n°1) de janvier à mai 2013, cet article n’est pas une narration des combats menés.
L’objectif est d’ancrer ce succès au cœur de ses racines propres : souplesse et réactivité du commandement, intégration interarmes à tous les niveaux, complémentarité des forces. Mais avant tout, cette victoire repose sur la solidité d’unités entraînées et mues par un esprit de victoire, consécration suprême de l’esprit de corps au combat.

 

UN SEUL BUT, LA VICTOIRE… DES FONDAMENTAUX

Chef de bataillon Rémi SCARPA
Stagiaire de la 22e Promotion de l’École de Guerre

 

 

« […] l’offensive, considérée moralement et politiquement, est presque toujours avantageuse parce qu’elle porte la guerre sur le sol étranger, diminue les ressources de l’ennemi, et augmente les siennes : elle élève le moral de l’armée et impose souvent la crainte à son adversaire.
; […] si cette armée obtient le succès, elle frappe la puissance ennemie jusqu’au cœur, la prive de ses moyens de guerre, et peut amener un prompt dénouement de la lutte»

Sans présager de l’avenir de la situation stratégique au MALI -domaine qui échappe à la portée de cet article- on peut observer que ces mots de JOMINI dans son Précis de l’art de la guerre expriment sous bien des aspects, le sentiment ressenti après l’offensive menée par la brigade SERVAL entre janvier et mai 2013 lors de la libération des territoires sous l’emprise djihadiste, puis de la destruction des sanctuaires terroristes dans le nord de l’ancien Soudan français.

Alors que l’armée de Terre française s’est aguerrie au cours de vingt ans d’interventions extérieures, et tout particulièrement en Afghanistan ces dix dernières années, force est de constater que l’action offensive d’ampleur sur de grandes élongations n’a que très rarement été au cœur des opérations menées. C’est en grande partie les vertus de ce type de combat que l’opération SERVAL a permis de remettre au goût du jour. Prééminence du combat interarmes et interarmées, modularité et solidité des structures de la brigade interarmes, efficacité des modes d’actions alliant audace et anticipation sont les principales sources de satisfaction immédiate, mais aussi de réflexions pour l’avenir, que cette récente victoire tactique place au cœur des préoccupations du décideur militaire.
L’action offensive conduite par la brigade Serval (mandat n°1) de janvier à mai 2013 est une consécration du combat tactique « à la française » dans la mesure où elle souligne à la fois la qualité d’une organisation souple et réactive du commandement -couplée à une complémentarité de forces immédiatement disponibles- tout en entérinant des axiomes tactiques fondamentaux, piliers de notre formation au combat.

« OBÉIR ET S’ADAPTER »

«Voici votre arme : l’obéissance à l’organisation. Il faut que vous pensiez ensemble, et que vous agissiez ensemble, très exactement au moment précis où se présentera l’occasion. Il ne faudra pas hésiter car les occasions ne reviennent pas. » (Alexis JENNI, L’art français de la guerre).

La victoire tactique de l’offensive SERVAL est due à trois facteurs immédiats de l’ordre de l’organisation du commandement opératif et tactique : des forces adaptées et immédiatement disponibles, un commandement au diapason et une culture de I’ «AUDACE RAISONNABLE».

La réponse rapide aux ordres du chef des Armées a été permise par la réactivité du dispositif de nos forces prépositionnées en Afrique qui ont assuré, seules, pendant près de deux semaines, le contrôle des accès stratégiques de Bamako, appuyant les forces maliennes -en partie désorganisées- et exploitant les résultats de l’offensive combinée de nos forces aériennes et spéciales. Ce sont ainsi des unités en provenance du Tchad (État-Major Tactique, Compagnie d’Éclairage et d’Appui du 21e RIMa, Peloton Blindé du 1er REC) et de la République de Côte d’Ivoire (Escadron Blindé Licorne du 1er RHP) qui sont venues « combler la brèche ». Moins de 36 heures après les ordres du Président de la République, des unités de combat déjà acclimatées au théâtre africain (ce qui n’est pas négligeable) prenaient à leur compte les opérations et interdisaient aux groupes armés djihadistes l’approche de la capitale en tenant en particulier les points de franchissement sur le fleuve Niger à Markala. La réactivité avec laquelle le Groupement Tactique InterArmes n°1 (GTIA 1) a mené cette action est à souligner. Directement piloté par le centre de planification et de conduite des opérations, le GTIA 1 a ainsi mené des actions tactiques sous le commandement direct du niveau stratégique.
Le renforcement par les unités de métropole a également démontré une capacité significative de réponse à l’urgence. Un groupement aéromobile (5e RHC) et une unité d’infanterie supplémentaire (2e RIMa) ont ainsi été acheminées dans des délais records avec l’appui de gros porteurs aériens de pays alliés, tandis que le gros des forces de la future brigade SERVAL (GTIA 2 d’Infanterie Blindée issu du 92e RI avec un escadron du RICM, GTIA 3 de Cavalerie Blindée issu du 1er RIMa avec une compagnie du 126e RI) préparaient leurs arrivée via les capacités de projection de force de la Marine nationale (BPC Dixmude) et de l’armée de l’Air, les uns accostant au Sénégal, les autres atterrissant au Niger.

Première projection du module GUÉPARD depuis la mise en place de l’alerte « nouvelle génération », la projection de forces terrestres dans le cadre de l’opération SERVAL a confirmé son efficacité tout en permettant de pointer de nombreuses améliorations envisageables, dans les domaines du soutien logistique sur les bases de départs, en zone de regroupement et d’attente en particulier. Ainsi, la priorisation des modules à projeter, l’échelonnement des containers et des matériels doit faire l’objet d’une plus grande efficience et l’action des services interarmées dans la montée en puissance gagnerait à être coordonnée. Une grande souplesse dans les structures projetées a, en outre, été constatée (renforcement de certains modules comme l’ajout en quelques jours d’une compagnie VBCI hors alerte GUÉPARD ou encore d’un module contre IED, projection de l’état-major G 08 de la 11e BP, ré-articulations rapides etc.).

Les premières semaines de l’action offensive se sont caractérisées par un « déséquilibre avant » dans de nombreux domaines (logistique, liaisons par exemple). Elles ont donné lieu à une importante prise de risque, néanmoins toujours accompagnée d’initiatives du commandement (à tous les échelons) pour en réduire les conséquences. Pour illustrer cet équilibre, la gestion difficile des liaisons dans les tous premiers jours du raid blindé vers Tombouctou est à propos. Le commandement tactique a su se doter dans les plus brefs délais de matériels de circonstance (téléphones satellitaires en particulier) afin de ne pas perdre de délais dans l’attente de l’acheminement du matériel complet (liaisons satellitaires favorisant la numérisation). Aucune perte de temps n’a été constatée et “l’occasion» a été saisie, car les conditions d’exécution de cette campagne de libération imposaient de marquer d’emblée l’adversaire par le maintien d’un rythme qu’il ne pouvait supporter. Les djihadistes ont, de la sorte, été contraints de refuser le combat, et la « boucle du Niger » a pu être saisie dans les temps. La seconde partie de l’action (réduction des « sanctuaires terroristes ») a été le cadre d’actions très dures, d’incertitudes ponctuelles, mais avant tout d’une dynamique de victoire, appuyée par une recherche d’un rapport de forces toujours écrasant, credo du général de brigade BARRERA, pour le succès et la préservation des vies des hommes et des femmes des forces engagées.

« Une victoire de la démarche capacitaire »

Refus de l’a peu-près et de l’approximation d’une manœuvre fondée sur la seule intuition, l’offensive de la brigade SERVAL s’est déroulée dans un esprit capacitaire, où les appuis ont été à la base de toutes les victoires tactiques, au profit des unités de combat directement au contact de l’ennemi. Cette démarche a été délicate par les élongations conséquentes mais aussi l’empreinte logistique représentée par les moyens demandés (et obtenus) par le commandement de la brigade. Cette réflexion sur les appuis nécessaires a irrigué continuellement la réflexion de la brigade, afin d’obtenir le meilleur compromis entre le poids logistique représenté par les modules supplémentaires demandés (groupe d’artillerie à 2 pièces CAESAR supplémentaire, renforts Génie de lutte contre IED notamment) et le gain en termes d’efficacité immédiate, et plus encore d’ «assurance w’e» pour les hommes et les femmes engagés au combat.

«pas un pas sans renseignement, pas un pas sans appui»

Si SERVAL est présentée comme une victoire du renseignement par de nombreux observateurs, elle est avant tout une consécration du renseignement tactique, avec en premier lieu la réussite de la première projection de cette ampleur d’une batterie de renseignement de brigade (BRB), outil exceptionnel et parfaitement opérationnel au profit du commandement de la brigade. La mise à disposition de renseignements d’intérêts immédiats (écoufes, détections) par la BRB, couplée au travail réactif des équipes de recherche humaine du 2e RH, ont été la source de résultats éloquents, à l’instar de la frappe combinée Air-artillerie du 27 février dans le secteur de Tahort au cœur de la vallée de Terz dans l’Adrar, qui a permis la destruction d’une quarantaine de chefs djihadistes avec probablement le responsable pour le Nord du Mali d’Aï Quaïda au Maghreb islamique.

«Le feu tue… et préserve des vies !»

L’ensemble de la campagne de la brigade a été placée par le commandant des forces terrestres, dans le cadre d’une manœuvre des appuis permanente et d’une optimisation de leurs effets (air, artillerie, génie). Les bonnes pratiques issues des engagements récents en matière de combat interarmes et de synergie des effets ont porté leurs fruits de façon très concrète lors des 53 opérations de niveau sous-groupement à brigade, menées au cours des quatre mois du premier mandat de l’opération Serval. A titre d’exemple, les canons CAESAR du GTIA 3, à peine débarqués à Niamey, ont foncé vers le Nord du pays en 48 heures de déplacement en zone d’insécurité, totalement inconnue pour les artilleurs fraîchement débarqués.

En place au petit matin du déclenchement de l’opération Panthère 3 dans la vallée d’Ametettaï, le 26 février, ils ont immédiatement fourni des tirs d’appui dès leur mise en batterie.
Les sections de combat du génie ont réalisé toute la gamme possible de leurs missions, jusqu’au «réfaMsse-ment d’itinéraire» sous le feu. Tous les acteurs ont confirmé la réelle plus-value de cette prééminence des appuis, jusqu’aux plus bas échelons. On peut noter à ce titre les commentaires et les témoignages de combattants -chefs de groupes, soldats- recueillis notamment lors du «sas» de décompression en fin de mission, par les psychologues et les cadres chargés du déroulement de ce stage. La conclusion est assez nouvelle pour être mentionnée : tous ont eu un sentiment de protection, ont moins été touchés par la solitude des réactions du combat, tous savaient que l’artilleur assurait l’appui du fantassin, que le cavalier bénéficiait de l’appui de proximité du sapeur etc.

« Un art simple et tout d’exécution »

Les combats menés lors de cette opération ont couvert l’ensemble du spectre des actions terrestres, mettant en avant une très bonne coordination des moyens interarmes et un commandement guidé par des .principes simples (centralisation dans la conception, décentralisation dans l’exécution). Le commandant” de la brigade Serval se faisait présenter dans le détail chaque ordre d’opération, quel que soit le niveau de la troupe engagée. En retour, les chefs tactiques bénéficiaient d’une autonomie complète dans la réalisation de leurs missions. Plus encore, ces engagements ont démontré une nouvelle fois l’aptitude à l’engagement de forces terrestres aguerries, bénéficiant d’entraînement adapté et de structures éprouvées récemment.

L’intégration des moyens interarmes au niveau du sous-groupement a prouvé urfe nouvelle fois sa pertinence et son efficacité au feu. La manœuvre tactique des chefs a consisté à déplacer des feux de manière optimale, souvent jusqu’au combat d’infanterie à très courte distance.

«Une arme, dans les deux sens du terme, ne doit être appréhendée qu’à l’intérieur d’un système »

Les opérations « PANTHÈRE » et « DORO », mais aussi les réactions aux tentatives de prises d’initiative de l’ennemi (attaques surprises contre l’aéroport de Tombouctou de nuit, infiltrations suivis de combats de rue à courte distance dans Gao à plusieurs reprises), ont permis aux chefs tactiques de manier les effets de leurs armes avec une liberté d’action quasi-inégalée, et de mettre en œuvre tous les savoir-faire (opération aéroportée, aéromobile, raid blindé, combat en localité, en zone montagneuse…). La plus-value réelle d’une formation variée – au coût significatif- pour les chefs de section et de peloton (stages d’aguerrissement, de combats en zones difficiles etc.) menée dans les écoles de formation de l’armée de Terre, prend dans un tel cadre une dimension toute particulière.

L’organisation du commandement des forces terrestres de la brigade Serval a donné lieu à une adaptation permanente (deux fronts séparés pendant près de deux mois, des PC déployés dans toutes les configurations). Un poste de commandement de circonstance, avec le général à sa tête, a ainsi conduit l’intégralité de la campagne de l’Adrar pendant près de 2 mois (grâce au travail du PC G 08 de la 11e BP et des éléments de la 3e BM qui se sont agrégés avec une grande simplicité). Cette singularité de l’organisation du commandement n’a, à aucun moment, entraîné de ruptures dans la diffusion de l’information et des flux logistiques, elle n’a pas empêché le poste de commandement principal de Gao, aux ordres du colonel adjoint, de conduire les difficiles actions de combat des Oueds à l’est de la «cité des Ascias» (Gao). Au-delà des ces questions organisationnelles, c’est l’esprit d’initiative qui a été renforcé grâce à une culture de la «boucle courte» au combat (application des feux, subsidiarité du commandement).

Cet état d’esprit a renforcé de manière significative la confiance mutuelle des chefs et l’efficacité des unités engagées.

«Train as you fight»

Comment ne pas voir, enfin, dans ces succès tactiques la concrétisation des efforts faits, dans un contexte extrêmement contraint, par l’armée de Terre, pour entraîner de la meilleure façon ses unités ? Le cycle d’entraînement des unités « GUÉPARD », couplé à la remarquable expérience récente d’unités aguerries (en particulier sur le théâtre afghan), a donné de beaux résultats (exercices de PC, CENTAC, CENZUB, parcours de tirs…). Une telle densité dans l’architecture de la préparation opérationnelle des unités est à préserver absolument.
Mais c’est avant tout le résultat d’un « sytème» (de formation voire d’ «éducation») qui est à conserver et à améliorer tant dans nos écoles de formation, dans les unités, comme dans la culture militaire : l’esprit de victoire, plus belle illustration d’un esprit de corps prenant, dans «le succès des armes de la France», enfin toute sa valeur !

Il importe de capitaliser sur un tel constat, pour maintenir notre haut niveau de préparation opérationnelle, en se rappelant, avec le général Yakovleff, que : « l’ampleur de la victoire est inversement proportionnelle à la durée de l’effort ».
A l’heure où cet article est rédigé, de graves événements viennent de se dérouler au Nord-Mali, dans la région de Kidal. Il s’agit d’une nouvelle preuve -si besoin était- que rien n’est jamais acquis, en matière de combat contre-insurrectionnel, par une offensive « éclair ».

Si cette réalité ne peut être éludée, il importe de constater -froidement- la réalité du succès militaire initial: victoire tactique (à défaut d’être totale). Celui-ci n’est dû ni au hasard, ni à des êtres exceptionnels, il est la suite logique du mariage heureux des principes les plus sains de notre doctrine militaire, et de l’audace, au sein d’une véritable dynamique : celle de la victoire.

« Ils ont une âme de vainqueurs. Tu leur feras une âme de conquérants »

Général de LATTRE de TASSIGNY au colonel LECOQ,
Fondateur de l’école de cadres de Rouffach en février 1945