IN MEMORIAM

 

 

I N   M E M O R I A M

 

Je viens de relire leurs noms ; l’une après l’autre j’ai revu leur physionomie. Au fur et à mesure je me souvenais d’un dernier entretien, du moment où nous les avions vu partir, celui, où, le cœur serré, nous devions les retrouver déjà sans un. mouvement, ou bien les revoir encore, tous, si magnifiques dans leurs dernières souffrances. Ceux aussi que nous avions cherchés et pas retrouvés.

Ils sont dix-sept, de ce quelque peu légendaire 2e Peloton à y être restés ». Ce qui a été réalisé, ces villages, ces bourgades, ces capitales libérées, c’est à eux aussi qu’on le doit. Ce que les survivants ont pu accomplir encore, c’est à eux également qu’ils sont redevables.
Dix-sept « calots rouges ». dix-sept jeunes pleins de vie, d’ardeur et de vie.
Dix-sept, pour qui des êtres chers ont depuis versé des larmes d’un pénible chagrin.

Le premier de nos morts fut ce brave JOULAIM ; son ascendant, son Imposante stature, et le fait aussi qu’jl fut au peloton du, 1er R.M.S.M. le seul marié lui avaient conféré une incontestable autorité. Devant Paris un obus atteignait la tourelle de son A.M. ; le même matin il nous avait encore fait voir les photos de, son magnifique bébé.
Dans Paris –  dont c’est aujourd’hui même l’anniversaire de Libération — au Luxembourg, BOUNIN tombait dans les rangs du groupe porté.

Plus tard, c’est la campagne des Vosges, avec Anglemont. que le seul 2e Peloton tint pendant une journée et une nuit, malgré les attaques furieuses et répétées de tout un bataillon de panzer, fraîchement arrivé en ligne. Là nous devions perdre l’impétueux GILBERT, le si jeune Yvan MAHOUX, et ce vrai type d’Alsacien qu’était MARK.
A la nuit tombante, durant sa faction, de La FRESSANGE est blessé. Il devait mourir quelques instants après dans ma Jeep, durant son transport à l’ambulance.
Le lendemain, c’est la patrouille de l’Aspirant DELAHAYE.
Ensemble, la veille, nous avions encore traversé sans encombre un champ de mines ennemi. Ce matin-là il me demande simplement de lui passer une tranche de pain et du chocolat, et il s’en va… Mon ami Jean-Louis LANG insiste pour prendre ma place et l’accompagne…
C’est d’eux, qu’à propos d’Anglemont, le Colonel PUTZ put dire plus tard dans son compte rendu : « cette poignée de braves ».

Aux Carrières, près de Vacqueville, c’est cet épatant FQURMESSOL, qui, alors que tout le monde presque dormait déjà, se trouve atteint par les éclats d’un obus, tandis que par acquit de conscience, il vérifiait encore l’état de son A.M.. Le lendemain c’est CHALON, ce beau grand garçon, toujours aimable et souriant, qui au volant de son A.M., en patrouille de pointe, est atteint de plein fouet par un obus.

Au moment de pénétrer en Alsace, nous apprenons la mort de ce sympathique CONUS, tombé le matin même dans les rangs de l’escadron marocain dans les cadres duquel ses qualités l’avaient amené à être versé, de même que DEBRA, qui devait tomber plus tard à Ebersmunster.
Devant Strasbourg, c’est le coup de boutoir donné par l’A.M. de BELLONE, que nous retrouvons, malgré une jambe broyée, debout devant son A.M. pour nous rendre çompte.
TOURRET et DELAFON, si impatients et avides d’action, sont blessés au même accrochage. Nous les reverrons encore, stoïques dans leurs souffrances, avant d’apprendre combien grands ils. furent encore dans leurs derniers instants. A Wolxheim, BARNIER. touché au volant de son A.M., lui, ce grand gaillard à qui rien ne résistait et qui déjà s’était sauvé d’un hôpital où une première blessure l’avait conduit.
Après Strasbourg, dont il put encore voir la délivrance, c’est METZGER qui tombe à quelques kilomètres de son village natal.
Non, il ne sont pas oubliés, et le silence même dans les pages de leur revue, n’est parfois, qu’une méditation impuissante à se traduire. Vous tous qui « en êtes revenus », n’est-ce pas par eux que vous vivez parfois, plus intensément ? N’est-ce pas leur foi que vous cherchez à reprendre en vous posant parfois aussi cet angoissant pour-quoi ? Mais que tous se souviennent d’eux, ceux qui les ont vus, ceux qui ne les ont pas connus : qu’on sache qu’eux n’ont pas compté les obstacles, qu’ils n’ont pas marchandé leurs vies, mais qu’ils ont TOUT donné, parce qu’ils voulaient que d’autres vivent, que tous vivent heureux et confiants.

La fidélité du souvenir envers eux est un devoir sacré.

L. T.

Caravane n°95 – OCTOBRE 1949