Du Maroc vers l’Angleterre

10 avril 1944
Embarquement à Casablanca

EMBARQUEMENT DE LA 2E D.B. DU MAROC VERS L’ANGLETERRE

 

Le Général GIRAUD, Commandant en Chef en Algérie, reçoit le 5 av ril 1944 le message suivant du Commandement Allié à Alger :

“Accord de principe a été donné par les chefs d’état-major américain et britannique au transfert de la Division LECLERC d’Afrique du Nord au Royaume-Uni.
Les mouvements sont susceptibles de commencer à compter du 10 avril pour se terminer aussi rapidement que les possibilités en shipping le permettront.”

L’ordre d’exécution est donné le 6 avril. Préavis est adressé à LECLERC à Témara le 5 avril dans la soirée. La confirmation d’embarquement parvient le jeudi 6 avril, sans indiquer la destination. Le vendredi saint 7 avril, le général de GAULLE vient inspecter la division. L’après-midi, les officiers sont rassemblés au casino de Témara. Le général de GAULLE s’adresse à eux « Vous participerez avant la fin de t’été à la Bataille de France. Il vous faudra sans doute attendre un peu avant l’engagement dans la bataille ». Par là il laisse comprendre que la destination de la division est l’Angleterre. En partant, à l’aérodrome de Rabat-Salé, le général de GAULLE serre longuement la main de LECLERC en le regardant dans les yeux. Dans son agenda, LECLERC écrit : •• Ordre départ Angleterre arrivé : Deo grattas ».
Quant à la division, depuis le 6, quand l’ordre d’embarquement atteint tous les corps, elle est plongée dans la joie et dans une activité intense car les délais sont très courts. Le premier embarquement aura lieu le lundi de Pâques, 10 avril, à Casablanca, sur 16 LST : il comprendra tout ce qui est lourd et chenille, chars Sherman, automoteurs d’artillerie, half-tracks (semi-chenilles) de l’infanterie ; soit un premier convoi, aux ordres du colonel de LANGLADET de 2 560 hommes et 1 094 véhicules. Un deuxième convoi, aux ordres du colonel DIO, partira le 11 avril par voie terrestre pour Cran, pour embarquer le reste des chars et chenilles et des véhicules sur des LST venant accoster entre les 18 et 30 avril. Un dernier convoi, aux ordres du colonel MALAGUTI, restera encore quelque temps à Témara avant de rejoindre Oran également pour embarquer sur des cargos liberty-ships et des paquebots transport de troupe. Aussi la division s’active-t-elle avec zèle. L’état-major fait des prodiges pour établir les ordres de mouvement pour Casablanca et Oran. Faute de temps, des méthodes non conformistes sont employées. Des instructions verbales remplacent les papiers et tableaux qui n’ont pas le temps d’être tapés à la machine. Les ateliers remettent en ordre de marche tous les véhicules en cours de réparation.
Les permissionnaires sont rappelés de toute l’Afrique du Nord, notamment les artilleurs, dont l’instruction a été poussée jusque fin mars en raison de la perception tardive des canons fin janvier. Un manque important doit être comblé : celui du Régiment de Chasseurs de Chars. Pour un motif de politique générale, de GAULLE désigne le 8 avril le Régiment Blindé de Fusiliers Marins. Ce dernier est à l’instruction pour devenir blindé. Il a d’excellents canonniers, pointeurs, mécaniciens, transmetteurs. Mais il n’a pas perçu son matériel. Il reçoit l’ordre de prendre les tanks-destroyers du 11° R.C.A, qui était déjà doté et qui devra l’aider à les embarquer dans les L.S.T à Oran le 18 avril.
Le 9 avril ont lieu les mouvements conduisant de Témara à Casablanca le millier de chars, canons, chenilles qui doit embarquer le 10 avril au matin.

L’embarquement, véritable tour de force alors que la division n’a été alertée que le 6 avril au matin, se déroule parfaitement. Le convoi prend la mer pour Swansea au pays de Galles, où il arrivera le 22 avril.
Ce premier mouvement marque le début d’une phase de transfert qui va durer jusqu’au 30 mai, lorsque le colonel MALAGUTI, commandant le dernier convoi, rejoindra le P.C. du général LECLERC en Angleterre. Pendant ces deux mois la division est littéralement écartelée entre, d’une part Rabat et Oran d’où les derniers éléments partent le 20 mai, et d’autre part la région de Hull dans le Yorkshire en Angleterre où les premiers éléments partis de Casablanca le 10 avril arrivent le 28, Cette longue phase d’attente suivie de mouvements maritimes puis de trajets terrestres à travers l’Angleterre suspend la vie de la division. Elle présente du point de vue de l’amalgame, tant souhaité par LECLERC, un effet bénéfique important. Dans les divers bateaux, les hommes de toutes les unités sont mélangés. Les liens hiérarchiques sont rompus, mais se forment d’autres liens entre des hommes très différents mis en face les uns des autres pendant huit à dix jours de traversée : légitimistes, légalistes, artilleurs, marins, fantassins, cavaliers, chars, transmetteurs, etc. C’est un véritable brassage de la division qui oblige les uns et les autres à se connaître, à parler, à discuter, à confronter leurs idées, leurs opinions, et aussi leurs connaissances réciproques. L’instruction de la division est bien sûr interrompue, mais pas totalement. Sur le Capetown Castle, un des deux paquebots transport de troupe, le commandant de l’artillerie divisionnaire, le lieutenant-colonel CREPIN, enseigne aux marins les fondements du tir au canon à terre, et le colonel NOIRET, du 12° cuirassiers, les finesses du combat des chars : ainsi, les après-midis passent vite et utilement (2).
Le général LECLERC suit tous les mouvements d’aussi près qu’il le peut. Le 9 avril, il assiste au déplacement de Témara à Casablanca du premier convoi ; partis en unité constituée de leurs cantonnements, par un exercice de circulation complexe, les véhicules se forment en seize longues files constituant chacune ie chargement d’un L.S.T. Ces files ont des compositions identiques : chars, half-tracks, automoteurs, jeeps, etc. venant d’unités différentes. Ainsi, si un L.S.T est torpillé, les pertes en personnel et en matériel toucheront plusieurs corps et aucun d’entre eux ne sera profondément atteint, comme cela serait le cas si la majorité d’un régiment se trouvait sur un seul bateau. Cela accroît, en outre, le brassage des divers éléments de la division.
Le général assiste le 10 à l’embarquement, dont celui de sa caravane. Il rencontre le général KOENIG venu à Casablanca, Le 11, il quitte Témara, radieux, et dîne avec le général américain KINGMAN. Il apprend que Radio Stuttgart a annoncé rembarquement de la 2° D.B. pour l’Angleterre. Le 13 avril, il part pour Alger et Oran. A Oran il voit les quelques officiers de son état-major déjà arrivés de Témara pour préparer les embarquements qui doivent commencer dès le 16.

NEPTUNE : NOM DONNÉ A LA PARTIE MARITIME D’OVERLORD. LA TÊTE DE PONT D’ANZIO, AU SUD DE ROME, EST ENCORE TENUE SECRÈTE. ELLE AURA LIEU FIN JANVIER. 2.AMIRAL J.GUILLON, DE CARTHAGE À BERCHTESGADEN, PLON,1974.

(Caravane N°475 Juin 2017)

La 2e DB vogue vers l'Angleterre

La 2e DB VOGUE VERS L’ANGLETERRE

Pour décrire cette traversée historique, nous avons choisi le récit d’un sapeur célèbre au sein
de la 2 e DB pour sa plume acérée et son humour ravageur.

[… Ça bouge… il semble que, décidément, ça bouge !
Le 8 avril (peut-être le 7, Charles (*) n’est pas très sûr), la division est consignée. Tous les blindés, chars, half-tracks, doivent
faire mouvement sur Casablanca.
Comment décrire l’ambiance ? Il s’agit, assurément, du départ pour le combat. Vers l’Italie ? Vers ailleurs ? L’essentiel est
que la division aille là où ça chauffe. Peut-être embarquera-t-on pour l’Angleterre ? Dans ce cas, il s’agirait d’un débar-
quement sur les côtes de la mer du Nord ou de la Manche… côtes françaises probablement…
Les véhicules à roues se dirigent vers la région d’Oran avec la plupart des personnels. Les véhicules à chenilles
embarqueront à Casablanca.
Charles et quelques cadres partent avec le Capitaine TERVER, accompagnant les half-tracks et leurs conducteurs.
Le 9 avril, la route de Témara à Casablanca est réservée aux blindés de la 2° D.B. qui l’occupent sur deux colonnes, parfois
plus. Le spectacle est imposant.
Voilà le port ! Des L.S.T. (bateaux à fond plat, s’ouvrant vers l’avant) sont à quai, prêts à recevoir les arrivants. Chaque bateau
charge un escadron de chars dans ses cales et un maximum de half-tracks sur le pont. De plus, il y a des couchettes pour
une centaine d’hommes.
Tout est parfaitement ordonnancé, l’embarquement s’effectue avec une surprenante facilité.
Le L.S.T. sur lequel embarque notre ami Charles est semblable à tous les autres, pourtant il se distingue par la qualité de
ses passagers, pensez donc ! Outre l’inestimable présence du Sous-Lieutenant CHOLLEY, on compte aussi le Capitaine
TERVER, commandant d’armes du contingent de troupes embarquées et aussi l’Adjudant LEGRAND, c’est-à-dire Jean
NOHAIN ou encore ” JABOUNE “, parolier mais surtout homme de radio universellement célèbre. Pour le moment, l’Adju-
dant LEGRAND est chef de char au 501 e Régiment de Chars de Combat (501 e R.C.C.).
Toutes ces manoeuvres semblent vraiment trop simples. Il faut que les Sapeurs apportent leur grain de … piment. Ce
grain sera Calamaï, la petite chèvre mascotte, qui attend gentiment sur le quai. On bourre du foin et du fourrage dans un
half track bâché, puis on y glisse l’animal. Le Sous-Lieutenant CHOLLEY pilote lui-même le véhicule à l’embarquement.
Opération risquée : une punition et, plus grave encore, une mutation sanctionnerait la désobéissance en cas de
découverte du pot aux roses… Il faut vivre dangereusement, matelot !

Tout se passera bien ce jour-là.

Le 11 avril, en fin d’après midi, le convoi quitte le port de Casablanca, salué par la radio française qui lui prédit les pires ennuis
dans l’Atlantique. Les consignes de sécurité sont strictes : interdiction de fumer le soir sur le pont ; interdiction de jeter quoi
que ce soit à la mer… il ne faut laisser flotter aucune trace permettant à l’ennemi de déceler le passage d’un convoi. Les
armes anti-aériennes sont servies par les personnels de la 2e D.B.
Dès le départ, des boîtes de vivres sont distribuées : des rations ” C ” (meat and beans and vegetables stew),
très américaines préparations de haricots joyeusement accueillies et dévorées par les troupiers heureux de
rompre avec le régime alimentaire de Témara.
Le lendemain : encore des beans, le surlendemain : toujours des beans… on finit par atteindre très vite le degré d’écœure-
ment, mais il faut ” faire avec “, comme disent les marins…
…Un tour de service a été organisé entre les officiers pour contrôler en permanence l’arrimage des véhicules et, particuliè-
rement, des chars logés en cale. La mer est devenue mauvaise, elle se creuse sérieusement. Les marins en sont satisfaits
car, paraît-il, ce genre de temps réduit le danger sous-marin. Charles, quant à lui, ne s’en réjouit pas vraiment, il est bien trop
malade pour çà ! Cette saloperie de bateau à fond plat suit bêtement, scrupuleusement, le profil des vagues. et voilà que les
vagues ont maintenant un profil de montagnes russes ! Ça bouge ! Oh là là … que ça bouge !
Allons, matelot ! Courage ! Pas de mollesse dans les rotules ! Il faut assumer le service et vérifier régulièrement les
amarrages. Combien de stations sur le calvaire du Christ ? Quatorze ! Tant que ça ! On en viendrait à souhaiter la
crucifixion immédiate…
…On sait, depuis que l’on a quitté Casablanca, que la destination est la Grande Bretagne. La route directe n’étant pas la plus
sûre, le convoi s’est d’abord dirigé plein Ouest afin de rejoindre un autre convoi, énorme celui là, escorté par de puissants
bateaux de guerre, protégé par d’innombrables bâtiments rapides, redoutables chasseurs de sous-marins. Les Sapeurs sont
incapables d’estimer le nombre d’unités rassemblées car le convoi s’étend à perte de vue, il modifie en permanence
sa formation, varie de vitesse, change de direction. Ainsi, le L.S.T. où Charles subit son martyr se trouve tantôt vers le
centre du convoi, tantôt à droite, tantôt à gauche (oh ! pardon ! je voulais dire ” tantôt tribord, tantôt babord”).
La tempête s’amplifie, offrant des creux de huit et dix mètres aux amateurs d’émotions fortes. Ce jeu de “je domine les autres
au sommet de la vague… je suis dans le trou, je n’en vois plus aucun “, mille fois répété, finit par devenir lassant. Maintenant,
plus personne n’a envie d’ingurgiter un seul tout petit bean…
Ressource ! Il y a aussi des boulangers dans le détachement. Les honnêtes garçons s’avisent de fabriquer du pain. Sapeurs
et tankistes exténués ressentent un immense soulagement quand, enfin, ils peuvent se mettre une nourriture de civilisés sous
la dent…
… Enfin, les côtes du Pays de Galles furent en vue.
Le débarquement fut majestueux. Le panneau, à l’avant du L.S.T. s’abaissa et les chars, enfin désentravés, sortirent
de la cale dans un fracas de moteurs et de chenilles, puis les half-tracks descendus depuis le pont par des ascenseurs,
évacuèrent à leur tour… Les véhicules furent regroupés à proximité du quai d’embarquement d’une voie ferrée…
…”Sunday is closed” ces trois mots sont désormais célèbres chez nos compatriotes depuis qu’un humoriste les utilisa dans
un sketch inoubliable. Malheureusement pour Charles, ce sketch fut écrit bien après la guerre, et son débarquement sur le
sol britannique se produisit un dimanche.
Ignorant cette règle, il se mit en quête d’un restaurant, mais en vain : toutes les boutiques étaient bel et bien fermées.
Cependant rien n’est absolu ni définitif, même au pays de Marie TUDOR, et le jeune affamé finit par dénicher une pâtis-
serie ouverte. Son ascèse forcée pendant la traversée laissait, en le quittant, un grand vide à l’intérieur de son estomac,
un estomac qui, n’étant plus barbouillé, exigeait une réparation immédiate.
Il entra, s’empiffra de gâteaux, mais, au moment de régler l’addition, s’aperçut tout confus qu’il ne possédait pas la
moindre piécette de monnaie britannique. Il lui fallut engager une explication laborieuse avec la pâtissière, devant une
clientèle indifférente aux problèmes de cet étranger revêtu d’un uniforme de l’U.S. Army. Mais, après un certain temps, les
braves habitants de Swansea découvrirent qu’il ne s’agissait pas d’un G.I. de l’Oncle SAM, mais d’un petit Free French du
Général DE GAULLE. Alors le problème fut réglé d’un coup : avant qu’il ait pu distinguer les généreux donateurs, ceux ci,
discrètement mais intégralement, avaient payé, avec une élégance toute britannique, le prix des gâteaux ingérés par notre
ami.

Cette marque d’affection des Anglais à l’égard des Frenchies se renouvellera mille fois durant le séjour des gars de la
D.B. sur le sol de cette déconcertante ” perfide Albion ” ; phénomène bizarre et contradictoire d’une nation capable
d’actes politiques fort irritants parfois, mais dont pourtant le peuple se conduit en ami véritable et privilégié.
La cote des Français fraîchement débarqués ne cessa d’être flatteuse. Les jeunes filles particulièrement (allez savoir pour-
quoi ?) manifestaient une sympathie débordante pour les gars de la D.B., alors ceux-ci durent s’efforcer (généralement ils
réussirent) à n’en décevoir aucune…
…Quelque temps s’écoula, puis il fallut retourner aux véhicules afin de les embarquer sur des wagons de chemin de
fer. Opération rondement menée, bientôt hommes et matériels furent installés. Le train s’ébranla… ».

Jacques DEJOUY « À ME SUIVRE TU PASSES »
chroniques drolatiques pour des années cruelles (1942-1945)
aux Éditions MULLER
(*) Charles CHOLLEY – le futur général.

HISTORIQUE DU L.S.T. Mk2

 

 

Le L.S.T (Landing Ship, Tank) est conçu pendant la  Seconde Guerre mondiale et produit à partir de novembre 1941, afin de permettre aux forces alliées de débarquer un maximum de matériel lourd sans toutefois disposer d’installations portuaires.

Les L.S.T sont pour la première fois employés lors de l’opération amphibie Torch, en 1942, en Afrique du Nord. Les rapports d’utilisation et d’efficacité étant très concluants,
les Alliés décident de réutiliser le Landing Ship Tank,dans leurs opérations amphibies suivantes en Sicile, en Normandie et pendant l’opération Dragoon en Provence
française.
Il est rapidement surnommé le Large Slow Target (la grosse cible lente) par les soldats américains.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les Alliés n’ont plus besoin que de deux mois pour construire un L.S.T. Les Landing Ship, Tank, Mk2 sont employés jusque
dans les années 60 et participent également aux guerres d’Indochine et de Corée.

FICHE TECHNIQUE DU L.S.T Mk2
Pays créateur/utilisateur : États-Unis d’Amérique
Dénomination : . . . . . . . . . . . . . . . L.S.T Mk2
Production totale : . . . . . . . . . . 1051 unités
(pendant la seconde Guerre mondiale)
Transport : . . . . . . . . . . . . . 2100 tonnes de matériel
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ou 20 chars ou 400 soldats équipés
Vitesse maximale : . . . . 11,5 noeuds
Longueur : . . . . . . . . . . . 100,00 m
Largeur : . . . . . . . . . . . . . . . 15,25 m
Masse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1625 tonnes (à vide)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4080 tonnes (chargé)
Armement : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . sept canons de 40 mm
et 12 canons de 20 mm
Le dernier L.S.T est retiré du service en 2002.