2e DB – GRUSSENHEIM – Janvier 1945


ALSACE

L’hiver 44-45 est dur pour les hommes : c’est la neige et le feu.
A cause de la contre-offensive allemande dans les Ardennes, la 2e DB est envoyée au nord des Vosges et Strasbourg est menacé.

Fin janvier 1945, la 2e DB revient en plaine et sous le commandement de la 1ère armée du Général de Lattre de Tassigny, livre de durs combats dans des conditions climatiques extrêmes, dont ceux pour le village de Grussenheim, le 28 janvier 1945 sont le point d’orgue.

 

GRUSSENHEIM

CARREFOUR 177
QUE DE SANG SUR LA NEIGE !
de notre correspondant de guerre  Jean LEPELTIER

Extrait du journal « PATRIE » ~ 23 février 1945

Cette fois, il faut en finir…

Les contre-Offensives ennemies partout neutralisées, Strasbourg hors de danger, c’est à la Poche allemande d’Alsace, à la plaie que le sol français porte encore ouverte en son flanc que la 2ème Division Blindée va s’attaquer, en liaison avec la l ère Armée française.

26 JANVIER, depuis trois semaines la neige et le froid alternent leurs assauts. Mais la nuit écoulée a été submergée de flocons ; toute vie se paralyse sous la couche ou devant ces murs blancs. Ce matin, les cuirassiers devaient déboucher de la tête de pont d’Huttenheim, mais la neige à tout recouvert, si uniformément que les cheminements se confondent avec les fossés et ravins : impossible aux chars d’avancer…
En un autre secteur, un sous groupement de chasseurs d’Afrique sera plus heureux : il franchit l’ILL à 07h30 et a pour Mission d’atteindre à midi un carrefour dont la cote restera fameuse : 177.
En réalité, deux croisées de route se succèdent, du même côté, du nord vers le sud, et ce jumelage, ainsi que les conditions du terrain, faciliteront finalement la manoeuvre.
Les Boches nous attendent au nord. L’épaisseur de la neige impose un détour par le Sud. L’adversaire est surpris quand surgissent nos blindes. Faute d’avoir pu être suivis par l’infanterie, ceux-ci ont opté pour un déboulé en force. Six Chars Moyens traversent en trombe le premier carrefour, ‘USKUB’ en tête, dont on reparlera.
Ils annihilent toutes les défenses qu’ils prennent à revers et détruisent les canons automoteurs en position sur ce point, dont l’un, cependant, a eu le temps de faire volte-face et de stopper un de nos engins avant d’être lui-même atteint de plein fouet.

« USKUB » DECIDE DE LA PRISE DE STRASBOURG
Au carrefour nord, même cyclone, même résultat ; « USKUB » à nouveau se distingue; ce char qui, par son irruptions dans Badonviller, après un duel à bout portant avec un 88, décida de la prise de Strasbourg ; ce char conduit, par un sergent-chef impétueux mais de subtile intuition, servi par un tireur d’exceptionnel sang froid : pour mieux voir son adversaire, parfois, préalablement à son tir de rupture, il le fait se profiler sur l’écran d’un fumigène qu’il envoie au-delà de l’objectif, tel un photographe qui ferait prendre la pose à un ennemi en train de l’ajuster. Ce char dont l’équipage tout entier mérite cette appréciation lapidaire d’un commandant qui ne s’embarrasse pas de phrases : « Ce sont des cracks ! ».

L’ESCADRON DES PIEDS GELÉS
Donc « USKUB » et ses suivant sont à midi au rendez-vous fixé, malgré les fantaisies de la neige. Cependant, derrière eux, c’est-à-dire de flanc, passé le premier moment de stupeur, l’ennemi a réagi en lançant des réserves, alors qu’arrivait le chef du sous groupement avec son peloton de commandement. La parole est au chef d’escadron qui évoque l’affaire sans émotion, comme une partie d’échecs « – Un coup sur mon char, un coup sur ma Jeep, deux coups sur deux chars légers. Compris. J’ordonne un mouvement par le Sud.

Un tank-destroyer est encore atteint, mais tous les Boches s’enfuient, saufs les «allongés». Au tableau : 1. Panther, 3 Rhinocéros, 2 Half-track, 30 tués, 30 prisonniers.
La bataille était gagnée, mais les difficultés commençaient. Les allemands se cramponnaient dans les bois en lisière de la route « faute de pouvoir nous avancer à travers cette forêt épaisse, nous nous sommes établis en point d’appui fermé, décidés à tenir coûte que coûte, » – Toutes les velléités de contre-attaque furent systématiquement étouffées, malgré l’intervention -• étonnante – de quelques avions à croix gammée. Mais l’ennemi N°l c’était le froid. Huit jours dans la neige, par – 32°, sans tente, sans feu. Nous devenions l’escadron des pieds gelés. L’Infanterie surtout fondait à vue d’œil.

 

UN VILLAGE DE FRANCE EST RECONQUIS

L’action, se déplace au sud. Dans la nuit du 27 AU 28 JANVIER, le génie construit un pont sur la Blind. A 22h30, un tir d’artillerie allemande se déchaîne : Plusieurs dizaines de sapeurs sont couchés. Héroïquement, les survivants continuent…

28 JANVIER. Le pont est jeté. L’attaque est déclenchée contre Grussenheim. Mais le premier tank-destroyer qui s’avance est touché, un autre char est endommagé et l’accès de la passerelle est interdit aux véhicules. Presque aussitôt, le lieutenant-colonel PUTZ, qui dirige l’opération, est tué par un obus, ainsi que deux autres officiers. Son adjoint prend le commandement, il détourne les blindés par Jebsheim et lance de front une partie de son infanterie.
Une section de mitrailleuses et de mortiers réussit à pénétrer dans Grussenheim; mais les renforts n’arrivant pas, après s’y être accrochée durant deux heures, elle bat en retraite.
Cependant, la progression générale reprend ; on charge. Un combat d’une âpreté extrême s’engage contre les mitrailleuses et les 88 ennemis. Nous tenons le village ; une centaine de Boches sont pris, les armes à la main. Mais la partie n’est pas jouée. Un message allemand est capté qui ordonne aux troupes nazies de reprendre Grussenheim dès la nuit tombée.

En réalité, l’ennemi ne s’engagera qu’après une préparation d’artillerie qui durera presque jusqu’à l’aube. Vers 6 heures éclatent les premières rafales d’armes automatiques. Notre artillerie déclenche un tir d’arrêt magnifique de précision : “- en plein dessus ! – s’écrient les observateurs du groupement blindé : « – continuez ». Aussi à lOhOO, l’infanterie allemande amorce-t-elle un premier repli. Des ordres farouches la renvoient à l’assaut. Elle est encore arrêtée. Alors nos fantassins démarrent à leur tour. Devant eux, des cadavres jonchent le sol jusqu’à deux mètres des lisières qu’ils tenaient. Plus loin, en des tranchées, ils ramassent 150 nouveaux prisonniers.

La victoire est définitive ; elle est chèrement payée du sang, de près de 300 des nôtres dont une vingtaine d’officiers.
Mais le Boche a perdu 200 tués, 300 prisonniers, 3 Panther et Jagdpanther.
« -Et surtout, concluait le Chef, un Village de France aura été reconquis”.

Sur ce village, désormais, se profileront des visages :

.Celui d’un capitaine, « vétéran 1914/1918, qui unit à une expérience sans égale du combat d’infanterie, une ardeur, une bravoure, une jeunesse de caractère qui en font un modèle pour tous ». . Celui d’un aspirant dont la section était clouée au sol; à 50 mètres de l’agglomération, par des mitrailleurs et tireurs d’élite et, qui s’élança seul en avant jusqu’à la première maison pour détruire – une arme automatique, au centre de la résistance, .

Celui soldat de 1ére classe « splendide combattant, hardi et prudent à la fois, qui prit la succession de son chef de groupe, mortellement blessé, pour entraîner les hommes à l’assaut, sous un feu nourri qui avait déjà fauché un autre groupe » :

. Ceux de jeunes recrues, « remarquables d’audace et de calme. Engagés de Paris, imperturbables au feu ».
et, sous ces visages, autant de noms de France qui sonneront clair dans ce village d’Alsace.

Jean LEPELTIER